Institutions de Révolution
Écrit par Arlequin
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« Et si on faisait la Révolution ? » Voilà une idée
populaire qui s'insinue chez beaucoup de monde lors de conversations
banales. Dans ces conditions, pourquoi instituer ce soulèvement tant
espéré est-il si compliqué ? Analysons les composantes d'une Révolution
pour trouver une solution.
Le nombre de Révolutionnaires est primordial. L'individualisme
assure le succès d'un tel mouvement. En effet, chaque personne a ses
propres revendications en exigeant, par exemple une Révolution des
Institutions. Sans équivoque, les motifs de mécontentements sont
proportionnels aux nombre d'habitants du pays en question. Au risque
d'en voir une prolifération anarchique, la Révolution a de beaux jours
devant elle ! Malgré ces données encourageantes, l'Etat peut sourire
devant ces peuples si inspirés. L'individualisme rend tout
soulèvement insipide, désuni et sporadique malgré de bonnes intentions.
Un individu peut toujours prendre des Résolutions pour faire sa
Révolution avec insistance, mais faire la Révolution seul est le
meilleur moyen pour être la risée de la population et finir placé dans
une institution. On en déduit que l'anarchie n'est pas propice
aux Révolutions même si les Révolutions favorisent l'anarchie. Dans ces
conditions, beaucoup hésitent à se lancer, vieillissent et finissent
désolés, résiliés, rêvant à cet âge d'or où les Révolutions étaient
couronnées de succès.
L'âge des Révolutionnaires est aussi très important. Généralement le
fruit des Jeunes qui rêvent de refaire le monde, la Révolution
souffre du vieillissement de la population. Bientôt, il n'y aura plus
assez d'actifs pour fomenter un tel mouvement tandis que des personnes
âgées finiront dans des institutions. On impute la perte de
motivation révolutionnaire à une maturité intellectuelle. C'est
faux. Avec l'âge, on apprend que la Révolution est une circonvolution
qui revient sur son point de départ : Ainsi, il est beaucoup plus simple
de ne rien faire. Les Jeunes parlent de la Révolution avec admiration
et voient en elle une Révélation pour opérer à une redistribution des
cartes. Avec l'âge, ils déchantent devant l'évolution de la situation
qui n'a fait que tourner en rond puisque l'envie de Révolution est
toujours là. La situation voulue Révolutionnaire est donc vue comme
normale.
Le succès de la Révolution entretient la Révolution. Inspiré
par ses succès dans l'Histoire, vouloir la Révolution est un
comportement tout à fait normal, surtout en France, pays où la
Révolution est une véritable institution. Après 1789, 1830, 1848 et
1968, comment l'Etat pourrait-il relever l'importance d'une situation
normale ? Ceci assure donc de beaux jours à cette protestation violente.
La Révolution a la réputation d'être un tragique bain de sang issu de
l'exaspération populaire. Du coup, le succès de la Révolution tue la
Révolution en apeurant la population qui va écouter l'Etat et en
apeurant l'Etat qui va soudainement écouter ses administrés. Pour
certains, cette situation qui devrait être normale est tout
simplement Révolutionnaire ! Ainsi, l'Etat est dans une impasse. Il
faut savoir que si chaque gouvernement voue une répulsion tenace envers
la Révolution, ces faits seront repris par les régimes politiques
suivants qui en retireront de la fierté et de la légitimité. Chaque pays
ayant connu la Révolution lui donne un petit nom affectueux. Comment
expliquer autrement que le Pouvoir fasse lui-même des Révolutions de
palais ? Ainsi, elle est Grande puis Glorieuse
en Angleterre, des Œillets au Portugal, Orange en
Ukraine, Verte en Chine et en Inde et de Velours en
Tchécoslovaquie...
La Révolution n'a plus rien de Révolutionnaire
Le succès de la Révolution dépend de sa durée. Quand on
commence une Révolution, il suffit d'attendre un peu pour que les
combattants s'épuisent. Ainsi, tout rentre dans l'ordre avec une simple
autorégulation. Quand les troubles s'éternisent, c'est un peu plus
compliqué : On a le temps de montrer son désaccord avec une
Révolution en... faisant la Révolution, autrement dit, en basculant
dans la contre-révolution ! Le problème est que cette option
rallonge encore un peu cette période troublée et le pays sera désolé.
Une Révolution courte donnera envie aux retardataires de réitérer
l'expérience. Une Révolution longue fait passer une situation
d'exceptionnelle à banale tout en excitant l'exaspération populaire ! « La
France est en paix ? Mais c'est une véritable Révolution ! »
Découlant de la situation précédente, les situations banales
deviennent révolutionnaires ! Dans ce cas, les Révolutions se font
sans que personne ne les voient, ce qui diminue fortement leur intérêt.
La preuve, si un individu crie « C'est la Révolution ! », il va
devenir la risée de la population pour finalement être placé dans une
institution.
Pour que les Révolutions ne soient pas banales, il faut attendre
qu'elles se raréfient avant de les déclencher. La vigilance de l'État
sera endormie. Le résultat sera spectaculaire. Ainsi, la Révolution
redeviendra révolutionnaire et inattendue ! C'est bien pour ça que
l'Etat rend les choses si difficiles ! L'inauguration d'un Club
Révolutionnaire va alerter l'État qui va se charger de sa dissolution en
plaçant les meneurs dans une institution. Il faut donc jouer sur les
mots en renommant ledit club, mais ces changements risquent de
compliquer la réalisation de la Révolution.
Des institutions au secours de la Révolution
Des partis politiques prônent la Révolution mais sont peu
plébiscités par le peuple. Les Révolutions qu'ils proposent sont connues
et prévisibles, avec un programme banal, ce qui leur enlève beaucoup
d'intérêt. D'un autre côté, fonder des sociétés secrètes est
parfaitement normal. Ce n'est donc pas Révolutionnaire. On dit aussi que
pour réussir une Révolution, peu de personnes doivent être au
courant ! C'est stupide de se compliquer la tâche ainsi ! De son
côté, l'Etat fait des efforts pour encourager le Peuple à se soulever en
faisant la sourde oreille devant ses revendications. Il faut dire que
les revendications populaires sont parfois un peu trop éparpillées pour
que des réformes plaisent à tout le monde, ce qui rend les choses
compliquées.
Les facteurs qui jouent sur le succès d'une Révolution sont nombreux et
très aléatoires. Créer une institution coordinatrice des Révolutions
résoudrait le problème de façon simple en gérant le temps, l'endroit,
les revendications, la spontanéité, l'organisation et les résultats, le
tout en évitant de tomber dans l'anarchie. Ainsi la Révolution n'aura
plus cette image de violence incontrôlée et pourra convaincre les
acteurs les plus sensibles d'y participer. Il ne faut pas oublier que
l'État a un rôle à jouer dans la réussite d'une Révolution puisqu'il
peut en être la victime ou l'instigateur, permettant aux
meneurs Révolutionnaires de se former dans de prestigieuses
institutions.
Pour voir le succès d'une Révolution, il suffit de proposer des
idées révolutionnaires en prenant le contre-pied de ce qui est
communément admis. Puis, avec le temps, ces « nouvelles idées »
seront tout à fait banales et des Révolutions qui ont déjà fait leurs
preuves pourront être prises comme modèle. Heureusement que certaines
choses ne sont pas prêtes de changer : on pourra toujours dire que la
Révolution est bel et bien une éternelle circonvolution.